Interview du journal "La voix du Nord" de Jean-Claude Pineau, chargé de recherches au CNRS UPR2147 "Dynamique de l'Evolution Humaine" qui a demontré les limites des performances humaines en athlétisme.

JO: trop vite, trop haut, trop fort ?
VINGT ET UN MÈTRES. C’est la distance qui séparerait aujourd’hui Thomas Burke, vainqueur du 100m des premiers Jeux olympiques, de Tim Montgomery, l’actuel recordman du monde (1).

C’est un fait: 1896 et le temps de l’amateurisme sont révolus depuis longtemps. Le professionnalisme s’est imposé, avec ses modes d’entraînement scientifiques. Les starting-blocks ont fait leur apparition. Les matériaux et les vêtements sont testés en soufflerie, les chaussures plus légères. Les pistes en polyuréthane ont remplacé les pistes en cendrée. Le sport s’est mondialisé, augmentant ainsi les chances de performances.
Tout a été fait pour que les records tombent. La devise des Jeux n’est-elle d’ailleurs pas «Plus haut, plus vite, plus fort»… Mais jusqu’où les athlètes peuvent-ils aller? Cette question, Jean-Claude Pineau, chercheur au laboratoire de «dynamique de l’évolution humaine», à Paris, s’y est intéressé. Avec, au final, des résultats surprenants.
– Quel est l’objet exact de vos recherches?
«Je me suis attaché à déterminer les limites théoriques des athlètes dans la performance. Pour cela, j’ai travaillé à partir des performances olympiques depuis les jeux de 1912 jusqu’à ceux de 1992, et notamment sur l’athlétisme».
– Vous avez ensuite effectué des calculs mathématiques?
«Exactement, et cela m’a donné les limites théoriques des records humains, même si l’on ne sait jamais exactement, dans une performance, la part de physiologique, de physique et de psychologique.»
– Vous calculez qu’on ne pourra faire mieux que 9,6 secondes pour le 100m messieurs. Cela ne donne guère de marge aux athlètes… «Oui, aujourd’hui les records sont fonctions de facteurs climatiques, notamment, qui peuvent améliorer de quelques centièmes le record. À mon avis, nous entrons dans une ère de confrontation, et non plus dans une ère de record.»
– Toutes les disciplines sont-elles concernées?
«Non. Dans les disciplines de demi-fond et de fond, il existe, sur le plan physiologique, une marge plus importante que sur le sprint. Par exemple, je pense que, sur le 1500m, il y a actuellement une marge de cinq secondes. Plus les distances sont longues, plus les marges sont importantes. Sur le marathon, le record peut encore descendre de cinq minutes.»
– Les seuils sont-ils différents chez les hommes et chez les femmes?
«Tout à fait. L’écart se situe entre 10 et 12%. Si vous prenez la perche féminine, les records vont être battus très vite, car la performance maximale est selon moi de l’ordre de 5,40m. Or elles en sont loin (2). Après, comme pour les hommes, il y aura une stagnation.»
– Quel temps record avez-vous établi pour le 100m femmes?
«Il devrait être entre 10,50 et 10,60 secondes.»
– Mais depuis 1988 le record du monde est de 10,49 secondes…
«Oui, mais quand on regarde la courbe statistique des performances, il y a un problème dans cette discipline. Elle sort de la logique mathématique. C’est une performance un peu douteuse. C’est un peu comme le record du lancer du poids (il est de 23,12m; Jean-Claude Pineau a évalué le record théorique à 23,15m). Ce record a été établi en 1990. Depuis, les concours se gagnent à 21m. La différence est énorme, entre 21 et 23m. Pourtant, l’homme n’a pas régressé. Mais sans doute, à l’époque, n’y avait-il pas les moyens de contrôle antidopage actuels… Idem pour le 200m messieurs. Là, la limite du corps humain serait de 19,40 secondes (le record est de 19,32 secondes). Le problème est de savoir si ces performances ont été réalisées dans des conditions “normales”».
– Pour vous, il n’est donc pas possible de courir le 100m en 9 secondes.
«Non, là franchement, cela me ferait rire. Sur le plan artificiel, avec le dopage, je pense que oui, mais ça n’a plus de sens pour moi».
– Le dopage plane sur les derniers records du 100m messieurs. Est-il possible de réaliser 9,6 secondes en étant «propre»?
«(Silence.) Si les données olympiques que j’ai utilisées ont été réalisées dans des conditions anormales, le problème se pose. Effectivement, si l’on m’a trompé, alors je me suis trompé.»
Recueilli par G.C.
(1) Le record, détenu par Tim Montgomery (USA), est de 9,78 sec. Thomas Burke, en 1896, avait couru en 12 sec.
(2) Le record est de 4,90m.